Ne pas vendre la peau du dragon avant de l’avoir tué.
De magnifiques paysages, des chemins de terre blanche, une atmosphère lourde, beaucoup plus lourde qu’en Roumanie, un soleil cuisant mais aussi, et surtout, un des plus beaux dragons qu’il ait été donné de voir à Charlie Weasley de toute sa carrière. Voilà en quelques mots ce qui résumait la mission du quadragénaire à l’Ouest de l’Afrique, le long du fleuve Congo. Depuis qu’un cryptozoologiste avait fait parler de lui dans la presse moldue, affirmant à qui voulait l'entendre qu’il comptait bien découvrir le fameux mokélé-mbembé pour élucider son mystère, le deuxième fils de la famille Weasley avait été dépêché pour prêter main forte au département de régulation des créatures magiques Africain. En effet, une gigantesque réserve s’étendait tout le long du mythique fleuve et elle accueillait la dernière famille de mokélé-mbembé du monde. A ceci près qu’un des petits s’était échappé, blessant gravement un garde et semant la panique dans la communauté magique. Les meilleurs enquêteurs du pays étaient sur le coup… mais les pires braconniers l’étaient également. Et les moldus s’étaient eux aussi joint aux festivités. Une joyeuse anarchie, en somme. Charlie ne pouvait s’empêcher de penser au nombre incalculable de fois où le secret magique international avait manqué d’être révélé, parfois même à cause de ses petits protégés. Mais tout cela valait le coup : les morsures, les brûlures, tout. Rien ne valait un dragon en liberté dans son milieu naturel.
Notre homme, les cheveux courts parcourus par le vent, survolait la réserve en compagnie de Rose, une garde chevronnée qui tenait avec assurance sur son nimbus 2000, un modèle un peu daté mais toujours aussi fiable. Il ne put s’empêcher de se dire que le jeune métis aurait sûrement fait une bonne joueuse de quidditch. Peut-être même l’était-elle ou l’avait-elle été. Il reprit soudain ses pensées en arrivant aux abords d’une gigantesque forêt primaire.
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- - -Nous allons devoir passer sous la canopée, il faudra éviter les arbres, c’est assez dense par ici. Ça ira pour vous ?
- - Hein ? Ah oui, pas de problème, j’ai pas mal joué au quidditch dans ma jeunesse.
Rose, qui se révéla aussi adroite avec un balai qu’elle en avait eu l’air, fendit l’air en piqué et disparut bientôt sous les frondaisons. Charlie se hâta de la rejoindre puis ils serpentèrent pendant un long moment entre les arbres et les lianes. Autant que possible, ils tentèrent de ne déranger aucun animal sur leur passage. Ici, même les simples animaux avaient quelque-chose de magique : des couleurs extravagantes et des formes improbables se découvraient à mesure que les deux aventuriers s’enfonçaient dans la forêt.
- - Et voilà, nous y sommes. Commenta Rose, non sans une pointe de fierté alors qu’ils arrivaient au bord du fleuve. La dernière famille de mokélé-mbembé niche ici, sur île au milieu de l’eau.
Bien qu’il n’ait encore rien vu, Charlie était bien trop impressionné et ému pour penser à ouvrir la bouche. Cela ne sembla aucunement gêner son interlocutrice qui fouillait déjà dans son sac.
- - Vous avez votre paire de lorgnoscopes ? Nous allons nous mettre à l’affut.
La tête rousse acquiesça avec vigueur et rejoint son guide à l’abri d’une tente camouflée par des sortilèges.
- - Bill serait impressionné s’il voyait ça, se dit-il en son for intérieur.
Quatre heures passèrent avant que le tant désiré dragon africain ne se manifeste discrètement. De puissantes griffes et une crête apparurent fugacement mais des coups de feu retentirent. Des moldus, sûrement à la recherche de l’ivoire d’éléphant. Il devint très vite urgent de les éloigner de la zone. Dans un regard, les deux compères se comprirent et sortirent discrètement de leur cachette.
- - Il faut faire attention, ces bâtons moldus sont redoutables. Chuchotta Charlie avec anxiété. Il fallait dire qu’il en avait déjà été victime par le passé et que la douleur éprouvée à ce moment-là lui avait laissé un arrière-goût amer.
- - Bien reçu. Chuchotta l’autre, encore plus bas.
A partir de ce moment, ils ne communiquèrent plus que par signes. Ils s’approchèrent discrètement de l’endroit où ils avaient entendu les coups de feu pour y découvrir un spectacle terrifiant. Un pygmée, qui avait certainement essayé de s’interposer entre les malfaiteurs et leurs cibles gisait dans son sang, le regard vide, le teint livide tandis qu’un de ses agresseurs sortait une hache.
- - Haha, de la viande de pygmée, le prix compensera la quantité, railla un homme au profil de Rambo.
- - Ouais c’est ça, mais dépêche-toi, j’ai l’impression qu’on est pas seuls, répondit un second protagoniste, beaucoup plus fin mais lourdement armé.
- - Si tu l’avais pas transpercé de partout aussi ! On dirait une passoire …
D’un signe de la main, Charlie reçu l’ordre d’agir. Des éclairs lumineux jaillirent, prenant les criminels en tenaille. Leurs yeux exorbités, ils tombèrent, raides comme des statues dans un bruit mat, étouffé par l’humus de la forêt. Charlie se précipita alors sur la victime, espérant de toutes ses forces qu’il lui resterait une étincelle de vie.
- - Episkey ! Lança-t-il avec toute la force de son espoir. Mais l’homme ne fit que tressaillir sous l’effet du sort. Charlie se frotta les yeux avant de regarder Rose, sa vision était embuée.
- - Episkey, episkey, episkey … allez, respire bon sang, respire !
A chacun de ses sorts, une balle tombait et roulait le long du corps.
- - Episkey ! Reprit Rose
La poitrine de l’homme se souleva alors que ses tissus se reconstituaient
- - Epikey ! Continua Charlie dont les poumons se remplissaient à nouveau d’espoir.
- - Episkey
- - Episkey …
La dernière balle tomba de la tête et le pygmée se réveilla, en proie à une grande frayeur. La garde entreprit alors de lui expliquer ce qui lui était arrivé, en omettant bien entendu tous les détails mentionnant la magie. Sous le choc, l’homme se calma petit à petit mais il aperçut alors ses agresseurs. Nos aventuriers durent le retenir et maintenant qu’il avait vu les deux corps pétrifiés, ils étaient bien obligés de tout lui expliquer.
Après quelques temps passé à reprendre ses esprits, l’indigène expliqua (et Rose traduisit pour Charlie) qu’il était là pour son ami. Il venait souvent chercher de la nourriture pour lui car il était encore jeune et ne pouvait pas se débrouiller tout seul. Il cherchait dans le coin quand les braconniers l’avaient surpris.
- - Attendez…Mais qui est votre ami ?
- - Il dit que c’est un Mokélé, traduisit Rose le souffle court avant que le pygmée ne reprenne son discours. Mais il ne faut pas avoir peur, il ne mange pas les humains. Il dit que les humains ont mauvais goût et ils sont plein de mauvaises choses, il ne comprends pas comment on peut vouloir …
- - En manger ? Termina-t-il sans être sûr de vouloir connaitre la réponse.
Le bonhomme acquiesça tristement. Mais dans ce monde, tout avait une valeur, même la viande humaine. Et encore plus, les animaux rares, que personne n’avait encore jamais vu.
Craignant pour le dragon, l’homme avait couru le cacher puis il était revenu sur ses pas mais il était trop tard, les agresseurs avaient déjà vu la marchandise et le poursuivaient déjà. Plus habile il était parvenu à les éloigner de la cachette mais il fut rattrapé, il était devenu à son tour une proie.
- - Et c’est là que nous avons entendu le bâton moldu…
Charlie était atterré et dégoûté au plus profond de son âme. Jamais un sorcier ne ferait une telle chose à un autre être humain ! En tous cas… pas des sorciers honnêtes qui ne faisaient pas usage de la magie noire. La mine sombre il dit :
- - Et le mokélé ?
Rose expliqua quelque-chose à son interlocuteur, la discussion sembla interminable mais finalement, Rose s’adressa au sorcier britannique :
- - Il veut bien nous montrer où il l’a caché mais il dit que l’un de nous devrait rester pour s’occuper des deux autres rebus.
L’indigène cracha par terre lorsque Rose fit un signe de tête vers les braconniers.
- - Je lui ai dit que tu étais un expert en dragons et que tu es le mieux placé pour y aller, qu’il n’avait pas de soucis à se faire avec toi. Dit-elle avec un sourire. Je sais que tu en meurs d’envie.
- - Je…merci ! Fit-il d’une voix étranglée.
Il partit donc, suivant son nouveau guide au cœur de la forêt. Le dragon, semblable à un serpent mais avec une crête et des pattes de crocodile griffues aurait pu être très laid mais ses écailles, d’un magnifique bleu profond, luisaient d’un éclat surnaturel et enchanteur. Sa longue queue était enroulée en toute harmonie autour de son corps fragile. Lorsqu’il entendit les deux hommes arriver, il ouvrit les yeux et se terra encore plus dans le tronc creux qui lui servait de cachette. Ses grands yeux étaient uniformément argentés et sans pupilles. Charlie se demanda comment il faisait pour y voir quelque-chose mais son instinct lui dit qu’il y voyait très bien car la bête le fixait de son regard si particulier. Avec un grognement, le dragon s’enroula autour des épaules du pygmée dans une posture agressive.
Le sorcier regarda le mokélé sans broncher et approcha la main pour lui montrer qu’il n’y avait aucun danger. Cependant, ce dernier prit peur et l’attaqua. Il lui mordit la main si fort que Charlie eut du mal à se retenir de pousser un cri. Mais il y parvint et, au lieu de retirer sa main, il la laissa là, dans la geule du dragon. Seule la petite taille de celui-ci lui permettait une telle manœuvre. Le Weasley savait bien qu’avec un Norvégien à crête comme Norbert (qui était en fait une femelle) ou un Boutefeu chinois, il ne serait rien rester de sa main, et de lui non plus, d’ailleurs. Le bébé mokélé grogna en essayant de se dégager mais ses crocs étaient trop enfoncés et il dut se résoudre à abandonner. La douleur était cuisante mais il ne fallait rien montrer. Petit à petit, la créature magique se calma, laissant Charlie dégager sa main puis, après s’être sommairement soigné, lui caresser la tête.
Le moment était magique mais il fallait absolument rendre le petit à sa famille car il n’avait pas mangé depuis très longtemps et aucune des personnes présentes dans cette forêt n’était en mesure de dire ce qu’il mokélé-mbembé pouvait bien manger.
Charlie et son guide retrouvèrent donc Rose en compagnie d’agents du ministère de la magie Africain. Les braconniers avaient été emmenés et livrés à la police moldue. Il semblait que Rose avait pris soin de leur faire subir un terrible maléfice avant de les rendre aux autorités, à tel point qu’un des agents du ministère fit remarquer d’une voix passablement lasse qu’ils allaient devoir redoubler d’effort pour les oublietter.
Le lendemain, on pouvait lire dans toutes les gazettes du monde que le bébé mokélé-mbembé était retourné, sain et sauf, dans sa famille, grâce au célèbre Charlie Weasley, expert en dragons.